Taille, offre des agences d’architecture ou encore formation … Jean-Claude Martinez livre ses perspectives pour l’avenir dans une tribune exclusive publiée sur le site du moniteur.fr.
MAF Assurances

Tribune publiée sur le site du moniteur, le 17/10/2018

« Qui annonce la fin du métier d’architecte se trompe ! Qui pronostique que l’architecte est voué à n’être plus qu’un designer se fourvoie tout autant! Ce ne sont pas les architectes qui l’affirment mais les maîtres d’ouvrage eux-mêmes. «La présence de l’architecte d’un bout à l’autre du projet est le meilleur gage de la qualité du bâtiment qui sera livré».  Voilà quasiment mot pour mot ce que me disait très récemment un maître d’ouvrage, et non des moindres. C’était à l’occasion du dernier comité prospectif de la MAF regroupant maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’études et entreprises.

Ce maître d’ouvrage ajoutait que la participation active de l’architecte au suivi d’exécution, pourvu bien entendu qu’il en ait la mission et les moyens, lui apportait la garantie que les arbitrages et modifications rendues nécessaires en phase de chantier ne seraient pas réalisés dans une perspective seulement économique, mais respecteraient bien l’intention initiale et les objectifs du maître d’ouvrage, tels que cristallisés dans le projet dont l’architecte est le garant.

Quant à séparer maîtrise d’œuvre de conception et maîtrise d’œuvre d’exécution, il semblait à ce même maître d’ouvrage que c’était là un facteur de risque supplémentaire et nullement une source d’économie. N’est-il pas illusoire d’imaginer qu’une maîtrise d’œuvre n’ayant pas participé au projet puisse s’approprier toute l’intelligence de ceux qui ont travaillé dans les phases amont? Bien sûr ce point de vue pourra toujours être contesté, exemples à l’appui. Nous ne sommes pas en effet dans un monde parfait et si les entreprises n’ont pas toutes les niveaux de qualification souhaités, il peut arriver aussi que la valeur ajoutée de certains architectes dans les missions de suivi d’exécution puisse ne pas être reconnue comme suffisante. Savoir évoluer et, quand c’est nécessaire, se remettre en cause est un exercice éminemment salutaire.

C’est la raison pour laquelle j’aimerais esquisser quelques pistes de réflexion avec pour seul objectif que les architectes assument bien la plénitude de leurs missions en disposant de toute la crédibilité et de tout le professionnalisme nécessaire.

 

Capitaliser sur les expériences réussies

Le premier sujet concerne la taille des agences. Je sais que la notion de taille critique est sujette à caution autant qu’à polémique! C’est pourquoi à la notion de taille critique je substituerais volontiers celle de compétences critiques. Ce n’est pas jouer sur les mots : ce qui est en jeu, en effet, c’est la capacité d’une agence d’architecture à réunir ou fédérer toutes les expertises nécessaires à l’exercice complet des missions d’architecture, de l’avant-projet sommaire jusqu’à la réception, sans omettre ce qui deviendra vite pour un bon nombre de projets un incontournable, à savoir la mission de BIM manager.

Force est de reconnaître aujourd’hui que ce n’est plus à la portée d’un homme seul, aussi génial soit-il, ni même à celle d’une toute petite structure si elle fonctionne de manière isolée. Si fédérer toutes les compétences nécessaires, celles du dessinateur, de l’infographiste, de l’ingénieur, du conducteur de travaux, de l’informaticien, etc. est nécessaire, les formules pour y arriver sont diverses, du fonctionnement en réseau jusqu’aux solutions les plus intégratrices.

Chacune a ses avantages et ses inconvénients. Certaines ont fait leur preuve, d’autres un peu moins. Je pense que la profession gagnerait, au bénéfice des agences qui n’ont plus la taille nécessaire voire pour celui d’agences plus structurées, à capitaliser sur les expériences les plus réussies, pour les faire mieux connaître en explicitant les facteurs de succès aussi bien que les risques d’exécution.

Regardons également du côté des jeunes architectes. Ils ont compris pour la plupart que l’exercice strictement indépendant n’était plus viable et savent mettre en œuvre des formules souples et astucieuses de collaboration et de mise en commun de leur savoir-faire.

 

Quelle offre de services ?

Ma deuxième piste de réflexion porte sur l’offre des agences d’architecture. Dans le prolongement du point précédent, je pense que les agences d’architecture, chacune pour ce qui la concerne, doivent réfléchir à leur offre de services. Je pressens les objections : la loi sur l’architecture est suffisante! Plus grave, ce serait ravaler l’architecture au rang de produit purement commercial ou marketing. Ou encore : dans un contexte encore difficile, c’est la demande qui dicte sa loi, ce qui rendrait superflue toute réflexion sur l’offre.

J’entends ces objections. Elles ne sont pas à mon sens suffisantes pour écarter la nécessité à l’échelle d’une agence d’un travail sur son offre, autrement dit sur son positionnement et la façon de l’exprimer auprès des catégories de maîtres d’ouvrages qu’elle aura ciblées, en se dotant des compétences et ressources nécessaires pour remplir toutes les conditions du succès.

Beaucoup le font, certaines de manière intuitive, d’autres selon des démarches beaucoup plus structurées. D’autres, enfin, restent dans des logiques beaucoup plus opportunistes, toute commande étant bonne à prendre! Nous en voyons, hélas, parfois les effets négatifs à la MAF...

Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de la maison individuelle, certes un peu limitatif mais éclairant malgré tout. Les architectes n’occupent sur ce marché qu’une position très faible. Pour beaucoup, c’est un état de fait et il n’y aurait rien à faire. Certains s’y hasardent avec les mécomptes que l’on connaît, des jeunes notamment. Dans le même temps, à la MAF, nous voyons de vraies réussites, celles d’agences qui ont une production régulière, voire soutenue, et de très bonne qualité.

 

Ce n’est bien sûr nullement le fruit du hasard. Ces agences ont conduit des réflexions préalables sur leur environnement économique, les compétiteurs, les attentes du public, leur offre, «leur» réseau d’entreprises, leurs méthodes de travail et processus pour être compétitives…

Il me semble ainsi que c’est de la responsabilité bien comprise de la profession que d’inciter les agences qui ne le feraient pas à engager ce type de démarche, quitte à réfléchir à certains modes d’accompagnement possibles.

 

Renforcer les formations techniques

Troisième sujet : la formation. Il est de bon ton dans notre pays de brocarder notre système éducatif en mettant en évidence ses faiblesses et ses failles. Les écoles d’architecture n’y échappent pas. C’est à mon sens stérile et injuste. L’enseignement dispensé dans les écoles d’architecture est le plus souvent d’excellente qualité.

La plupart ont investi également dans des plateformes BIM qui n’auront bientôt plus rien à envier à celles de certaines écoles d’ingénieurs. Les deux années supplémentaires requises pour l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP), réalisées pour l’essentiel en agence, marquent enfin un réel progrès.

Et pourtant, rien n’empêche aujourd’hui qu’un jeune architecte ne valide son HMONP sans avoir participé de façon directe et active à des missions de suivi d’exécution. Renforçons les formations techniques pendant les années d’école! Rendons d’une manière ou d’une autre obligatoire durant les années de HMONP l’accomplissement de missions en relation directe avec le chantier! C’est à cette condition aussi que les agences d’architecture pourront reconquérir des missions qu’elles ont perdues ou délaissées. Je pense que tout le monde en est bien convaincu. Là encore, c’est à la profession de se mobiliser pour faire bouger les lignes...

Voilà quelques pistes de réflexion et, surtout, d’action. Sans doute mériteraient-elles d’être davantage instruites et travaillées. Ce qui m’anime et m’a incité à formuler ces quelques propositions, c’est le souhait, partagé par tant de confrères et de maîtres d’ouvrage, que notre profession, si riche de sa créativité et de ses talents - et portée par un dynamisme qui fait sa force -  ne s’enferme pas dans la nostalgie d’un passé révolu, mais sache au contraire se renouveler en permanence afin de pouvoir exercer l’ensemble des missions sur lesquelles elle est attendue, et pleinement légitime. »